Comme chaque année, le site de l’Étudiant appâte les lycéens par un article intitulé « Bac 2016 les sujets les plus probables en philosophie« . Pourtant comme d’habitude, il ne faut pas s’attendre à une grande nouvelle. Au contraire, cet article fourmille d’erreurs et ses prédictions n’ont aucune valeur !
D’une part, au lieu de se fier à des professeurs de l’enseignement public, habitués du baccalauréat, il donne la parole à un enseignant en Université (qui n’enseigne donc pas ou plus en lycée), deux blogueurs, et un enseignant dans deux lycées privés… Ils méconnaissent visiblement les procédures de conception des sujets, en affirmant par exemple :
« Après les attentats survenus en 2015, les sujets de morale reviennent sur le devant de la scène. » La question morale du bien et surtout du mal est plus que jamais d’actualité.
Or il n’y a jamais de sujets d’actualité en philosophie, quoi qu’en disent les médias tous les ans. Alors ne nous laissons pas intoxiquer et analysons un peu mieux les ressorts de cet article…

En effet, d’une part les sujets dits d’actualité sont par nature écartés par les concepteurs car le Baccalauréat vise à évaluer les capacités à poser des problèmes et des arguments philosophiques, et non pas à replonger le candidat dans les discussions de café du commerce, où chacun y va de son opinion et non de sa réflexion. Ce serait de surcroît risquer de mettre en difficulté les élèves, sommés ainsi de se laisser aller à commenter des événements dramatiques ou aux enjeux émotionnels, politiques, trop tendus pour un examen.
Ensuite, notons tout simplement que fort heureusement les sujets ne sont pas faits à la dernières minute, mais comme il faut que l’Éducation Nationale ait une banque de sujets pour les lycées d’outre mer au calendrier décalé, les lycées français à l’étranger, etc…, les sujets sont prêts depuis longtemps, et il y a fort à penser qu’ils ont été rédigés bien avant les attentats.
Deuxième arnaque de cet article, le site multiplie les thèmes des sujets probables. Et ainsi en lisant l’article, on peut s’attendre à un sujet sur : la liberté, le bonheur, la morale, la conscience, la justice, la raison et le réel, la vérité, l’État, l’art, la culture… Bref, c’est tout le champ notionnel du programme qui est ici évoqué ! Et comme les lycéens auront le choix entre trois sujets, il est certain que l’un ou l’autre des thèmes annoncés tombera, et le site pourra encore faire croire « qu’ils l’avaient bien dit ! »
On voit par là que le site de l’Étudiant donne -sans le savoir ou sans le dire- une leçon philosophique. Les devins ont toujours l’air d’avoir raison, car ils annoncent toujours des choses tellement générales qu’elles finissent par se réaliser ! On retrouve là l’argument de Popper contre les pseudo-sciences, qui font mine d’être scientifiques mais qui ne le sont en aucune mesure.
À ce petit jeu des pronostics, tentons en un : je garantis à 100% que les sujets suivants ne tomberont pas cette année, car ils sont tombés l’an passé 🙂
– « Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ? »
– « La politique échappe-t-elle à une exigence de vérité ? »
- Cicéron :
« Comment peut-on prévoir un événement dépourvu de toute cause ou de tout indice qui explique qu’il se produira ? Les éclipses du soleil et de la lune sont annoncées avec beaucoup d’années d’anticipation par ceux qui étudient à l’aide de calculs les mouvements des astres. De fait, ils annoncent ce que la loi naturelle réalisera. Du mouvement invariable de la lune, ils déduisent à quel moment la lune, à l’opposé du soleil, entre dans l’ombre de la terre, qui est un cône de ténèbres, de telle sorte qu’elle s’obscurcit nécessairement. Ils savent aussi quand la même lune en passant sous le soleil et en s’intercalant entre lui et la terre, cache la lumière du soleil à nos yeux, et dans quel signe chaque planète se trouvera à tout moment, quels seront le lever ou le coucher journaliers des différentes constellations. Tu vois quels sont les raisonnements effectués par ceux qui prédisent ces événements.
Ceux qui prédisent la découverte d’un trésor ou l’arrivée d’un héritage, sur quel indice se fondent-ils ? Ou bien, dans quelle loi naturelle se trouve-t-il que cela arrivera ? Et si ces faits et ceux du même genre sont soumis à pareille nécessité, quel est l’événement dont il faudra admettre qu’il arrive par accident ou par pur hasard ? En effet, rien n’est à ce point contraire à la régularité rationnelle que le hasard, au point que même un dieu ne possède pas à mes yeux le privilège de savoir ce qui se produira par hasard ou par accident. Car s’il le sait, l’événement arrivera certainement ; mais s’il se produit certainement, il n’y a plus de hasard ; or le hasard existe : par conséquent, il n’y a pas de prévision d’événements fortuits. »
Cicéron, De la divination, Ier siècle av. J.-C.