Galilée, une révolution scientifique

Acte I vaincre les résistances

L’affaire, les affaires Galilée, demeurent le symbole d’une révolution dans la manière de faire science. On a du mal aujourd’hui à comprendre comment un homme aurait pu

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Giordano Bruno

risquer sa vie pour avoir affirmé que la terre tournait autour du soleil. Certains nouveaux jésuites en profitent et laissent entendre que l’Église aurait pu pardonner à Galilée s’il y avait du sien. N’oublions pas cependant que cette même Église a brûlé vif Giordano Bruno en 1600 pour avoir refusé de renoncer à sa thèse sur l’infini de l’univers. N’oublions pas qu’il a
fallu attendre 1822 pour que le Saint-Office se range aux arguments soutenus par Galilée, mais que lors de la révision de son procès en 1992, le bon Pape Jean-Paul II a osé conclure que les torts étaient partagés en somme, en parlant de « tragique incompréhension réciproque ». En somme la figure de Galilée nous intéresse car il manifeste un tournant décisif dans la manière de faire science. Par delà son combat contre le dogmatisme, par delà ses découvertes fondamentales, il incarne la modernité scientifique.

Galilée n’est certes sûrement pas un héraut du matérialisme, dans la mesure où il ne le professe pas, mais il n’en demeure pas moins un héros car il symbolise la révolution scientifique moderne, laquelle implique une approche de type matérialiste. Plus que galileo_galilei_2l’homme Galilée, c’est en effet une époque de basculement dans la théorie, où nombre de ses contemporains vont propager l’hypothèse d’une nouvelle méthode : Hobbes, Bacon, Descartes en appellent au pouvoir de la raison pour prouver la vérité en lieu et place de la seule révélation par les textes.

On a cependant bien du mal à imaginer pourquoi il a été si difficile d’affirmer que la terre tournait autour du soleil. Cela nous semble si évident ! Et pourtant, pour rappel, aucun d’entre nous n’en fait l’expérience sensible. Nous ne sentons pas la terre se mouvoir, tandis que nous voyons bien que le soleil « se lève puis se couche ». Si nous regardons la nuit les étoiles, elles semblent bien fixes, dans la mesure où chaque soir nous reconnaissons les constellations, comme la Grande Ourse. Autrement dit ce qui a fait longtemps la force du dogme religieux, c’est sa compatibilité avec l’apparence des phénomènes.

Cette force du sens commun est accompagnée d’un modèle scientifique, inauguré par Ptolémée dan

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Extrait de l’Almageste

s l’Almageste vers 140, qui reprend l’affirmation aristotélicienne d’un monde fini, centré autour de la terre. Ptolémée affirme que « la terre est au milieu du ciel », et qu’« elle ne peut pas faire le moindre mouvement. » Pour rendre co
mpte du mouvement apparent des étoiles, des planètes, il faut imaginer un système de sphères qui tournent autour d’elle, en ajoutant d’autres sphères plus petites qui rendent compte des trajectoires plus complexes des astres que l’on dit « errants », comme les planètes qui ne font pas des cercles réguliers.

Dès lors en effet le dogme catholique peut bien affirmer que la terre est au centre du monde, parce que cela correspond très bien à la fois au sens commun et au modèle scientifique dominant. Les passages bibliques qui permettent de le dire sont connus, et pourtant aucun n’est vraiment explicite. À l’époque de la Contre Réforme, les catholiques ont cependant tendance à affirmer plus durement leurs dogmes. Dans Josué 10 (12,13) on comprend que Dieu, commande un jour au soleil de s’arrêter, preuve qu’il serait en mouvement. En Job 9 (6,7) Job affirme que dieu a la puissance d’ébranler la terre, ce qui laisse entendre qu’habituellement elle serait immobile ; et en 38 (4,6) dieu affirme en avoir fixé les mesures. Dans les Psaumes il est dit que le monde reste « ferme et inébranlable », que la terre a été « fondée sur ses bases, elle est à tout jamais inébranlable ».

Galilée, dès les années 1613 entreprend de reprendre ces arguments, sans jamais contredire la lettre du texte, mais en mettant en garde contre l’interprétation que l’on en fait : « Bien que l’Écriture ne puisse errer, écrit il à Castelli, néanmoins certains de ses

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Ibn Rushd – Averroès

interprètes peuvent parfois commettre des erreurs. » Reprenant une méthode constante, au moins depuis Augustin, il rappelle que quand la lettre du texte semble contrevenir à l’expérience, il faut interpréter. Ce mouvement d’interprétation du sens caché, métaphorique des textes religieux à l’aune de la raison et de l’expérience ne lui est pas propre : on le rencontre en terre d’islam avec Averroès/Ibn Rushd (1126-1198) et en chrétienté avec Spinoza dans son Traité Théologico Politique (1670). Averroès affirme qu’il y a trois genres, trois niveaux dans le Coran. Pour le philosophe ; convaincu par le raisonnement démonstratif, il faut en comprendre la rationalité. Le théologien lit les textes sacrés tandis que la foule est convaincue par la rhétorique et les images. Au § 18 de son Traité décisif, il affirme que fondamentalement il ne peut y avoir de contradiction entre le texte divin et l’argumentation rationnelle, car dieu ne peut avoir voulu qu’un monde rationnel. C’est également la position de Galilée. Parce que la recherche de la vérité est l’objet de la science et que la vérité est l’objet de la révélation il ne peut-y avoir au final de contradiction. Au § 19 il examine ce qu’il faut faire des difficultés nées de la confrontation avec le texte divin. Si le texte divin se tait, il n’y a pas de contradiction – si le texte divin dit autre chose, il faut interpréter cette contradiction apparente, en rendant compte de la métaphore conformément aux vérités de raison. Là encore c’est l’attitude de Galilée, qui appelle à dépasser « la pire signification des mots » – le sens littéral – pour éviter des erreurs.

Il n’en reste pas moins que certaines découvertes de Galilée sont déconcertantes. Compte tenu des instruments de l’époque, les conséquences de ses affirmations sont peu recevables. À l’œil nu, si la terre se déplace comment se fait-il que les étoiles nous semblent pourtant toujours à la même position ? C’est le problème des parallaxes, que l’on observe facilement. Lorsque vous regardez au loin, à l’horizon, vous pouvez croire que trois châteaux sont alignés, mais si vous vous déplacez assez loin, vous pourrez voir cette fois ci que l’alignement n’est plus respecté. Si la terre se déplace, il faudrait observer ce phénomène pour les constellations, ce qui n’est pas le cas. Cela ne pourrait l’être qu’en admettant une distance et une taille de l’univers inimaginable à l’époque. On le voit ce n’est donc pas seulement contre l’Église qu’il a dû se battre, mais également contre le sens commun et la science dominante de son temps.

À suivre Acte II les découvertes et la méthode de Galilée

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