Polémique « Abaya » – mise au point.
Le ministère allume un contre-feu en pleine pré-rentrée. L’annonce du report à juin des épreuves de spécialité du baccalauréat atteste que les enseignants qui se sont tant battus contre la réforme Blanquer avaient raison. Plutôt que de leur donner le point – et de réfléchir à un retour au bac national – Gabriel Attal se saisit des abayas pour détourner l’attention.
Il risque ce faisant d’allumer çà et là des éléments de contestation – suite à la provocation du ministère – qu’il devra ensuite réprimer pour s’acheter une posture d’autorité à peu de frais – les proviseurs et personnels sur le terrain devant gérer.
Il sait d’ailleurs qu’une profession fragilisée depuis des années peut trouver dans une attitude d’autorité un élément rassurant. Ce faisant il va allumer les dissensions entre collègues qui se saisiront de cet élément pour se rassurer contre ceux qui ne voudront pas embrayer dans la manipulation. Nous devons donc répéter que l’enjeu de la rentrée c’est son coût pour les familles, la désagrégation des conditions d’enseignement, les postes qui manquent, et les salaires des personnels que le Pacte ne vient évidemment pas renforcer.
Cette polémique vient du fait qu’on assiste dans des lycées à une augmentation significative, visible, parfois impressionnante des abayas cette année.
Première remarque, au vu de la loi de 2004 ce n’est pas par nature – contrairement à une grande croix, une kippa, un turban sikh ou un voile – un signe explicite. Dans ce cas seule l’intention prosélyte doit être interrogée dans une procédure où d’autres éléments sont pris en compte, comme la systématicité – sont-elles retirées par exemple en cours de sport, lors des manipulations en cours de science ? -, le refus de les ôter, et l’intention portée par l’élève. La jurisprudence du Conseil d’État confirme cette analyse : tout en confirmant la légalité du port discret d’insignes religieux, le Conseil d’État a opéré une distinction entre ceux qui, par eux-mêmes, manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, et ceux qui revêtent l’intention d’affirmer une telle appartenance à travers le comportement de l’élève « […] si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d’une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d’autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève ». CE, 5 décembre 2007, M. et Mme A pour leur fille Sara, n° 295671
Du point de vue de l’élément culturel, l’abaya n’est pas par nature un vêtement religieux, mais il fait partie, comme d’autres, de pratiques culturelles propres à certaines zones géographiques. Le grand orientaliste néerlandais Reinhard Dozy (1820-1883) la définissait comme une « sorte de manteau court et ouvert sur le devant ; il n’a point de manches, mais on y a pratiqué des trous pour y passer les bras; c’est l’habit caractéristique des bédouins d’à peu près tous les temps ».
Le CFCM a indiqué que ce n’est pas un vêtement religieux.
En déterminant de l’extérieur – du point de vue du ministre – ce que serait le port de l’abaya, c’est confessionnaliser et assigner les élèves à une religion prétendue, ce qui est tout à fait contraire à l’esprit de la laïcité. On se demande bien comment cette tenue sera distinguée d’autres robes amples si ce n’est par discrimination.
On peut même remarquer, que si l’abaya relève d’un comportement communautaire – sans y attribuer ici de connotation péjorative, au même titre que les gothiques ont des éléments communautaires, ou les pulls et mocassins de la droite versaillaise – alors il traduit un affaiblissement de la radicalité : l’abaya, aux couleurs multiples, est évidemment bien en deçà du voile islamique.
Il y va au même titre que la polémique sur les croc-tops d’une police des corps féminins, comme l’a montré la manifestation récente pour le droit aux femmes à se promener poitrine nue si elles le souhaite comme les hommes à Aurillac. https://www.ladepeche.fr/2023/08/27/photos-une-femme-verbalisee-pour-setre-promenee-seins-nus-des-manifestantes-defilent-topless-en-soutien-a-aurillac-11417100.php
D’ailleurs plus généralement la laïcité dans l’espace public ne participe pas de la politique de censure des vêtements,ce qu’avait déjà dit Aristide Briant lors de la loi de 1905 en refusant d’interdire la soutane : « Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel… La soutane devient un vêtement comme un autre, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non ». La loi de 2004, dans le droit fil des circulaires Jean Zay permettait de mettre fin à des signes prosélytes visant à instrumentaliser les appartenances religieuses, pas à une police générale du vêtement. Appliquée à l’Abaya – sous réserve des possibilités effectives et légales discutables comme évoqué plus haut – c’est un détournement de procédure qui va mettre de l’huile sur le feu à la rentrée pour de basses considérations électoralistes.
La Laïcité au titre des articles 1 et 2 de la loi de 1905 c’est la liberté de conscience et de culte et la neutralité de l’État, pas la neutralisation des citoyen·ne·s.