Sartre : Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande

« Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande »

Jean-Paul Sartre,

Les lettres françaises, 1944

Le contexte.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, après des années d’occupation et au moment où la barbarie nazie est accusée, Sartre pouvait-il formuler une plus grande provocation ? En effet, comment un régime totalitaire, qui n’a pas hésité à supprimer toute forme d’opposition, massacrant femmes et enfants au seul motif de n’être pas bien nés pourrait-il exprimer une forme de liberté ? On
se tromperait évidemment si l’on voit dans cette phrase un éloge du nazisme. Sartre est sans doute l’un des philosophes qui a le plus pensé la question de la liberté. Non seulement il n’a cessé de penser les conséquences de l’affirmation selon laquelle nous serions dotés d’une conscience libre, mais il a incarné bien des combats d’émancipation de l’après guerre, notamment lors de la décolonisation. Esprit libre, il a pu se permettre de refuser le prix Nobel.

La citation expliquée

Bien souvent nous-nous désespérons parce que notre liberté se heurte à des contraintes qui nous empêchent de réaliser ce que nous voulons. Nous découvrons par là toute la pesanteur du monde extérieur, si bien que nous-en devenons parfois pessimistes. Sartre nous invite à assumer cette condition de la liberté, en commençant par renoncer à l’illusion que la liberté serait par nature bonne. Si la définition de la liberté relève de l’indéterminé, nous ne pouvons pas parier sur la réussite de nos projets. Par liberté nous pouvons gagner ou échouer. La liberté de ce point de vue est angoissante, parce qu’ elle ne garantit rien par avance, nous sommes délaissés. Elle est aussi angoissante parce que nous sommes responsables de nos actions, nous-ne pouvons pas nous trouver de fausses excuses, pas même les circonstances : si nous sommes libres, nos décisions nous appartiennent.

dr.

En ce sens nous la citation prend une tout autre dimension : l’occupation allemande est bien la situation dans laquelle nous devons exercer notre liberté. La liberté n’a de sens que parce qu’elle suppose une action, un engagement de soi, en fonction précisément des circonstances. Être libre, c’est se situer par rapport à une condition donnée, qui nous invite à choisir. Plus que cela, le sens même de la situation historique relève de ma libre décision. Sartre affirme que « cette guerre est mienne », non que je l’ai voulue, mais parce qu’il dépend de moi de me comporter en collaborationniste, en résistant, en attentiste. Le pouvoir de la liberté ne réside pas seulement dans le pouvoir d’action, mais également dans la conception nous-nous faisons du monde extérieur. Ainsi de négative et subie, la situation politique nous conduit à agir et à vouloir la transformer. L’engagement devient la seule conduite morale par laquelle nous pouvons exercer une liberté qui ne demande qu’une chose : elle-même. « Tout est permis si c’est sur le plan de la liberté » ajoute Sartre, c’est-à-dire que face à une contrainte, comme l’était l’occupation, nous devons agir pour la liberté. Le régime de Vichy a préféré abdiquer la liberté des français, là où la résistance a porté au plus haut le combat pour la libération.

Concepts – outils

condition-situation Les événements du monde, ma constitution physique, mon lieu de naissance apparaissent de prime abord comme des conditions objectives qui ne dépendent pas de ma volonté, mais du hasard des circonstances qui m’ont placé en face d’elles. Cependant Sartre substitue aux conditions la notion de « situation » : cette dernière rend compte de l’intervention humaine, qui par sa conscience ne se contente pas de subir les faits, mais les organise en leur donnant un sens. Qu’un rocher bloque le chemin n’est pas une condition indépassable, mais une situation par laquelle je suis invité à forger un projet nouveau : le contourner, l’escalader, changer de chemin. Rien n’est totalement figé par avance.

Pop philosophie
Ken Loach, Land and freedom (1995). Le parcours difficile d’un jeune militant plein
d’idéal pendant la guerre civile espagnole pose la question de la liberté face aux circonstances historiques. Les choix de chacun prennent en compte les situations tout en tentant de les infléchir, si bien que l’on finit par comprendre que le résultat dépasse toujours ce que chacun avait désiré. On retrouve le dilemme des révolutionnaires français qui ont éprouvé, comme le constate Saint-Just que « la force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n’avons pas pensé. »

Dissertation : compréhension d’un problème.

Peut-on renoncer à sa liberté ? L’un des paradoxes de la liberté tient à ce qu’elle semble autoriser tous les choix sauf celui de renoncer à elle-même. En affirmant que nous « sommes condamnés à être libres », Sartre montre que tout renoncement à sa propre liberté est illusoire, car relevant toujours d’un choix libre et réversible. S’il nous est impossible de renoncer à elle, cela nous est également moralement interdit, car ce serait abdiquer notre responsabilité face aux actes.

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