Depuis quelques semaines, un débat est lancé : il faut des primaires à gauche ! La panique a pris depuis les résultats, certes désastreux, tant pour le parti socialiste que pour ceux qui, à gauche, veulent incarner l’alternative. Les primaires viennent, comme le messie,
nous sauver du désastre. Pourtant elles finissent par tuer la gauche.
Pourquoi faudrait-il prendre exemple sur le modèle anglo-saxon du bipartisme ? Il n’appartient pas à notre tradition. Il y a quand même une forme d’ironie à vouloir parler d’une primaire de la gauche au moment où précisément celle-ci fait état de divergences si profondes qu’on ne sait plus quels sont ses points communs. De manière totalement artificielle, certains voudraient par cet artifice électoraliste maintenir un bloc que tout oppose : de Macron à Mélenchon, de Valls à Taubira. Peut-être qu’ils espèrent que le capitaine de pédalo, qui a si souvent pu montrer ses revirements, sera le seul à n’avoir pas assez de conviction pour faire la synthèse. Les primaires ont un sens aux États-Unis où depuis des décennies deux grands partis rassemblent l’essentiel des suffrages, tant et si bien que peu de monde peut citer les noms ou les leaders des autres partis, qui pourtant se présentent aux présidentielles. Faut-il au moment où le débat à gauche est crucial faire comme si sur les traités européens, sur les libertés publiques, sur le droit social ou l’austérité il n’y avait pas de désaccords et trouver l’ectoplasme mou capable de représenter un consensus qui n’existe pas ?
Les primaires sont anti-démocratiques. Aux États-Unis, ont le sait, la logique spectaculaire des primaires appelle d’abord une course aux dons. Raison pour laquelle d’ailleurs quand vous-vous connectez au site des primaires de la gauche, il vous est d’abord demandé un don… L’argent roi avant le débat, est-cela dont la gauche a besoin ? Voyez comme le prétendu débat n’en est pas un : très vite les dirigeants du Parti Socialiste ont vendu la mèche en déclarant que la question du programme était secondaire. Les primaires ne vont pas sauver la gauche, mais l’enterrer : en lieu et place d’une confrontation salutaire de propositions, elles vont se contenter de présenter des personnalités pour lesquelles les sondages vont commencer leur travail de sélection, sans contenu réel.
À ce propos un sondage sur le bienfait des primaires arrive à point nommé : les instituts de sondage ayant eux-même tout intérêt à promouvoir l’exercice qui va leur ouvrir de nouveaux marchés. Quitte à transformer un rejet pour une primaire de toute la gauche en plébiscite.
Reste le Front National : mais n’est-ce pas lui précisément qui dénonce à longueur de journée qu’un bloc, l’UMPS, LRPS (herpès), domine le champ politique ? Faire croire qu’il y aurait un tripartisme : LA droite, LA gauche, Le Front-National serait pire que tout. Une primaire de la gauche renforce cette impression de connivence : à gauche ils sont finalement d’accords entre eux ; à droite il sont d’accord entre eux ; entre eux, droite et gauche ils n’ont qu’un objectif, battre le candidat du Front National et non faire gagner leurs idées. Car la logique des primaires réduit finalement le débat politique : on ne demande plus aux électeurs de vérifier, au premier tour, quel est l’équilibre entre les lignes de forces au sein de chaque orientation. Il ne s’agit plus que de communication et de théorie des jeux : anticiper sur quelle serait la réaction des autres si nous présentions tel ou telle, indépendamment des effets de la discussion politique. On ne se demande plus quel est le meilleur programme, ni le moins pire, mais on essaye d’imaginer quelle personnalité serait mieux acceptée par les autres. Les primaires signent donc l’aboutissement logique de la cinquième république, désigner un candidat consensuel. L’argument des monarchistes contre l’idée même de République en somme.