L’intelligence artificielle, au delà des fantasmes

Premier acte de trois articles à paraître sur l’heure du peuple :

En montrant que la machine à tisser à vapeur avait fait plus pour l’abolition de l’esclavage que des siècles de protestations, Marx nous incitait à prendre au sérieux les évolutions techniques pour comprendre les révolutions sociétales.

Hier sujet de romans et de films d’anticipation, l’Intelligence Artificielle est en train de devenir un fait tangible : en 1997 l’ordinateur d’IBM Deep Blue battait Kasparov aux hero_eb20040716reviews40711001aréchecs, en 2016 Alpha GO de Google faisait de même au GO, tandis qu demain circuleront des voitures autonomes. Ces innovations technologiques annoncent des progrès fantastiques dans le domaine médical par des diagnostics plus précis et plus rapides ou encore dans celui de l’autonomie des personnes tant valides que dépendantes. Ces bénéfices indéniables s’accompagnent cependant de craintes diverses : sur le plan social, est-ce la fin du travail ? Sur le plan des libertés fondamentales, que dire de la manipulation des données individuelles, tant par les multinationales que par des officine de renseignement d’États plus ou moins bienveillants ? Plus profondément, sommes-nous à l’aube d’une telle évolution que l’humanité ne devienne superflue, comme l’annoncent certains récits apocalyptiques ? Ces questions sont politiques et appellent une prise de conscience, des partis, des États comme des citoyens, à la hauteur des interrogations nées avec les nouvelle sciences du vivant, dont se saisit aujourd’hui le Comité Consultatif National d’Éthique.

Ce qu’on appelle l’Intelligence artificielle renvoie à un vaste domaine de recherches et d’applications, né avec la prise de conscience des possibilités de développement de l’informatique et de la robotique, et ce dès les années 1950 – le nom ayant été forgé en 1956. La puissance matérielle de calcul, le développement des langages informatiques – et notamment des algorithmes -, comme la mise en réseau de multiples bases de données par Internet, ont fait décollé l’Intelligence Artificielle ces dernières années. Il reste difficile de prévoir les évolutions à venir, même sur le seul plan technique, tant l’expérience ayant appris que jusqu’à présent la plupart des seuils dit infranchissables – cf. l’exemple du jeu de GO – l’ont été. La futurologie n’est pas une science exacte. Et l’histoire nous apprend qu’une découverte technique ou scientifique ne fait pas tout : les grecs avaient découvert des propriétés de la vapeur, mais l’organisation politique et économique fondée sur la main d’œuvre esclave n’en a pas trouvé utile le développement.

On entend parfois dire qu’avec l’Intelligence Artificielle, le travail va disparaître. Dans les années 1960, on nous avait déjà annoncé la disparition prochaine du travail. Certes certaines usines totalement automatisées peuvent donner l’impression que certains emplois disqualifiés semblent désormais superflus : Amazon a pu mettre en place d’immenses hangars où les colis sont acheminés par des robots et non des magasiniers ; et l’apparition de véhiculent autonomes peut inquiéter les professions de chauffeurs. Pourtant on peut remarquer aussi que ce ne sont pas seulement des professions non-diplômées qui sont concernées : le diagnostic médical de spécialistes, en dermatologie ou cardiologie, pourrait être presque instantané par la lecture automatisée d’images ; en droit, des algorithmes semblent pouvoir remplacer le travail de fourmis des juristes cherchant dans la jurisprudence la réponse à certains cas, par ce que l’on appelle la justice prédictive. Autrement dit des professions hautement qualifiées pourraient bien être les premières victimes de l’intelligence artificielle, découvrant avec stupeur ce que Marx disait déjà dans Le manifeste du parti communiste : « leur habileté est dépréciée par les méthodes nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population. ». Pourtant cette évolution des métiers ne renvoie pas nécessairement à une disparition du travail. Si des chiffres alarmistes circulent – pendant la campagne présidentielle Benoît Hamon a cité «un rapport qui, pour la France, estime que plus de 3 millions d’emplois d’ici à 2025 seraient menacés » – en réalité ils sont tous contradictoires. C’est oublier en effet que l’apparition de nouveaux procédés peut appeler de nouveaux emplois, et que l’enjeu tient d’abord à la formation des salariés et au partage de la richesse créée. Or sur ce point les géants de l’industrie du net échappent trop souvent aux législations nationales en matière de fiscalité et de cotisations sociales qui pourraient financer ces adaptations.

Sur le plan des libertés démocratiques et fondamentales, l’apparition de l’Intelligence Artificielle pose de nouvelles difficultés. La première d’entre elle tient sans doute à la manière opaque dont ces données sont collectées et utilisées, notamment par des entreprises privées qui en font une source lucrative de profits. La France a, dès le développement des premières bases de données, encadré l’industrie informatique par la CNIL, mais désormais le caractère interconnecté des réseaux rend le contrôle des données plus difficile. Le Livret Numériquede la France Insoumise a ébauché des propositions, comme l’obligation de demander un consentement explicite pour la revente des données personnelles à un tiers et d’informer l’utilisateur s’il fait l’objet d’un profilage et lui permettre de le refuser. Les annonces d’Emmanuel Macron en ce domaine sont loin d’être rassurantes, puisqu’il appelle davantage à une ouverture des données collectées par les institutions publiques au profit du secteur privé. Le contrôle individuel du devenir de ses données personnelles pourrait même être remise en cause, des cabinets juridiques travaillant sur des disposition obligeant à fournir ses données, dans la mesure où leur collecte globale pourrait enrichir les processus de décision, par exemple en ce qui concerne la santé publique. Les prouesses technologiques sur la localisation et la reconnaissance faciale des individus dotent les services étatiques de police et de renseignement – ou de répression selon les cas – de nouveaux outils qui doivent être contrôlés. La France Insoumise propose à minima une évaluation de l’efficacité des solutions techniques utilisées par les services de renseignement par une commission d’enquête parlementaire.

Faut-il aller encore plus loin et craindre que l’Intelligence Artificielle ne rende caduque l’humanité elle-même ? Cette vision cauchemardesque a donnée lieu à des interprétations cinématographiques plus ou moins appréciée, mais elle prend le nom de « singularité » pour les spécialistes : une intelligence artificielle pourra-t-elle dépasser l’intelligence humaine et vouloir s’en passer ? Reste à ne pas confondre intelligence et calcul. Un simple smartphone relié à internet est incomparablement plus efficace que tout un chacun pour collecter des informations ; mais juger de la pertinence d’une information reste une faculté proprement humaine. L’enjeu tient sans doute à ne jamais laisser apparaître de Robots totalement dissociés d’une décision humaine, et notamment dans le domaine militaire où le refus de toute arme létale autonome doit être porté au plus haut niveau des dispositions juridiques internationales, à l’instar des Conventions de Genève. La meilleure protection contre les abus reste l’implication des populations à tous les niveaux de décision et de développement, voilà pourquoi nous préconisons l’encouragement des solutions libres et collaboratives.

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