De notre impuissance politique

Geoffroy de Lagasnerie a publié un court essai Sortir de notre impuissance politique aux éditions Fayard. Ça va faire du bruit dans Landerneau !

Oh, je ne parle pas ici des pudeurs de gazelles des éditorialistes politiques prompts à s’effaroucher pour des mots quand ils ne disent pas grand-chose des souffrances réelles. Qu’ils ne comprennent pas que G. de Lagasnerie sache parfaitement manier la provocation en dit aussi long sur leur professionnalisme. L’essentiel, pour nous militants de ce qui fut un temps « la gauche » est ailleurs. Le cycle de défaites sociales, sociétales et électorales pèse. Depuis les grandes grèves contre les retraites, nous peinons à obtenir des victoires, nous contentant de quelques évolutions culturelles, appréciables, quand nos conquêtes, nos espoirs, et la vie de millions de précaires, réfugiés, salariés, sont en jeu. Il a raison de le souligner.Nous sommes aussi en accord avec sa revendication du soutien à l’action directe, laquelle consiste dans ses mots en une solidarité effective avec les migrants – à l’instar des bateaux des ONG qui font le travail que devraient faire les États – ; avec les actions des Zads, des militants de la cause animale, etc. dont l’illégalisme reste toujours mineur à côté des violences d’État ou des capacités des oligarques à échapper à l’impôt ou à la loi comme C Goshn brusquement « héros » médiatique. Quant à son appel à la censure des idées d’extrême droite, il est salutaire dans un monde médiatique sur-saturé des idées de l’ultra-libéralisme et du racisme ordinaire, d’autant qu’il est somme toute très modéré, en appelant en fait à un sursaut éthique des médias et non à une censure légale. Laquelle, elle, existe puisque aujourd’hui mettre une affiche « macronavirus » vous envoie à la gendarmerie.

Le livre donc, fait débat. Autant le dire tout de suite, il met en scène en effet des questions qui parcourent le camp progressiste depuis des lustres. Il a plus le mérite de les synthétiser que de les découvrir. Reconnaissons à son auteur qu’il appartient bien à ce camp. Reconnaissons lui qu’il réfléchit et fait réfléchir, n’hésitant pas à interroger nos combats.

Il s’est construit notamment dans les luttes contre les violences policières, mais nous met en garde contre la focalisation sur ces dernières. Si nous devons les dénoncer, et surtout y mettre fin, il reconnaît que cela ne peut fonder une revendication centrale, parce qu’elles détournent de l’attention autant que les provocations des casseurs en fin de manifestation : BFM peut faire ses images chocs sur les unes ou les autres, la lutte réelle passe au second plan. On peu même envisager qu’il s’agit d’une stratégie délibérée du pouvoir : non seulement il réprime, mais la rhétorique de contestation de la répression ne peut remplacer celle des revendications. La mobilisation contre la casse des retraites a été occultée par l’effet miroir des condamnations des casseurs et des violences policières. Attention encore une fois, je ne néglige pas le combat nécessaire contre les pratiques de répression – manifestant depuis l’âge de 15 ans, je sais, et pas de manière intellectuelle, ce que c’est. Mais nous ne devons pas le substituer aux revendications.

De sa présence constante auprès du comité Adama, il a aussi noté le glissement des revendications d’une partie de l’extrême gauche anti-raciste. De la revendication de droits universels à celle de la dénonciation des systèmes post-coloniaux, etc., nous risquons là encore de courir le mauvais lièvre : je suis d’accord que penser que pour lutter immédiatement contre les discriminations, les contrôles au faciès, il faudrait décoloniser nos esprits – et j’ajoute souvent dans la bouche des indigénistes de tout poil, d’abord les esprits de gauche ! – c’est la porte ouverte au maintien des exactions, des violences policières. Conquérir de nouveaux droits, voilà l’urgence.

Sur ce dernier point, d’ailleurs, il a raison. Cela fait trop longtemps que nous luttons contre l’avancée de l’agenda néo-libéral et/ou conservateur, nous réduisant parfois à nous battre pour un système que par ailleurs nous aimerions faire avancer : cela a été le cas pour les retraites ou l’école, où en voulant sauver les acquis, nous semblions aussi défendre que ce que l’on condamne. Là, rappelons quand-même que la « gauche » n’a pas que produit des manifestations défensives : les mobilisations pour le droit d’asile, les marches pour le climat ou es marches pour la 6° République ne font pas que réclamer le statut-quo. Les syndicats, les associations ont toujours des propositions à faire, mais elles ne rentrent pas dans le temps médiatique et politique. 

L’essentiel tient à l’affirmation, qu’il emprunte à Assange que « la gauche c’est ce qui perd ». Que nous ne maîtrisons pas l’agenda politique. Que nous devons prendre acte de la caducité des anciennes formes de lutte. Il y a quelque chose de condescendant lorsqu’il semble dire que nombre de militants se complairaient dans les formes traditionnelles de mobilisation, heureux de manifester, de faire grève, même pour perdre. Les luttes syndicales, la défense pied à pied des salarié.e.s, les grèves ne se font pas par plaisir. La question est donc bien celle des formes de conquête du pouvoir. Ce que nous appelions avant – mais avant quoi ?- le rapport de force

Force est de constater que sur ce point sa solution surprend. Parce que les élites ont le monopole du pouvoir, il suffirait de changer les élites, en allant transformer les élites étudiantes. Puisque les néo-libéraux et les conservateurs sont au pouvoir, envoyons des contestataires au pouvoir ! Qui ne serait d’accord avec l’idée que des juges de gauches seraient plus utiles que des avocats de gauche ? Qui ne serait d’accord avec l’idée que des anarchistes au conseil constitutionnel : « est-ce qu’on ne pourrait pas définir comme objectif radical que des anarchistes essaient de prendre le contrôle du Conseil Constitutionnel ? » p. 66-67 

Autant on peut être d’accord sur bien des aspects du constat de notre impuissance actuelle. De nos défaites. Mais la solution semble bien naïve pour un auteur qui pourtant cite Bourdieu et sait quel est le poids de la reproduction sociale. Les bons esprits y voient une forme d’entrisme, sans jamais avoir compris ce que signifie dans la tradition léniniste et trotskyste cette approche. Jamais ces révolutionnaires n’ont préconisé d’infiltrer l’appareil d’État tsariste ! Geoffroy de Laganerie ne nous donne pas les clés pour comprendre comment des patrons, des juges, des membres du conseil constitutionnels pourraient s’avérer être des anarchistes, ou, au moins des progressistes. Son parallèle avec la conquête des lieux de pouvoir par les libéraux est trompeuse : s’ils ont remplacé les keynésiens, ce n’est pas en s’affichant contre les intérêts des actionnaires ou des dirigeants, bien au contraire, que les ultra-libéraux ont conquis postes universitaires et médias.

On aurait aimé que ce livre nous permette de sortir de notre impuissance, et encore une fois bien des constats doivent nous interroger. Mais la solution proposée semble elle aussi vouée à l’impuissance. Pire, dans le système médiatique – dépendant du pouvoir et du système – il fait diversion, comme disait Bourdieu du fait divers. Ses thèses en fait ne gênent pas : les éditocrates pourront jaser sur sa rhétorique de la pureté, de l’action directe, et de la censure, et s’insurger que la gauche n’ait que cela à proposer. Ils savent bien que son projet révolutionnaire de conquête des cerveaux des futurs dirigeants de l’État ou du CAC 40 est voué à l’échec.

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