Article à paraître dans le prochain numéro d’Arguments, revue de la Fédération Nationale de la Libre pensée
L’école doit être par nature laïque
La laïcité à l’école est intiment liée à celle de la laïcité de l’école. Ces deux propositions n’en recouvrent pas moins des réalités distinctes : il faut distinguer l’histoire de la laïcisation de l’école, du statut de la laïcité aujourd’hui à l’école quand des voix s’élèvent pour l’enseigner comme on le ferait d’une autre matière ou, parallèle intriguant, des faits religieux. Il faut pourtant distinguer le caractère laïque de l’école de l’enseignement des faits laïques.
L’école héritière des Lumières est constitutivement laïque parce qu’elle rend possible la divulgation d’un savoir fondé sur une méthode scientifique. Or celle-ci ne peut s’en remettre à aucun dogme préalable, en science tout est sujet à discussion dans le cadre d’une approche rationnelle. L’autorité du savoir est immanent, et ne s’en remet à aucune institution ou révélation. La Charte de la laïcité à l’école rappelle en son article 12 que les enseignements sont laïques. Vieille bataille qui est passée par la laïcisation des programmes mais aussi des personnels, avec l’institution notamment des écoles normales dès 1879 pour remplacer les ministres du cultes chargés auparavant de l’enseignement. Il en va de même pour ce qui concerne la validation du savoir universitaire : l’État est le seul habilité à délivrer diplômes et grades universitaires. De là aussi le principe constitutionnel selon lequel « l’organisation de l’enseignement public obligatoire gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».
L’école reconnaît les élèves et est indifférente à leurs croyances
L’école est laïque car la République qui ne reconnaît aucun culte – elle a aussi rompu avec le régime des cultes reconnus au détriment d’autres options spirituelles – voit dans tout enfant non un croyant ou un fidèle appartenant à une communauté, mais un élève, c’est-à-dire un infans qui doit acquérir par lui-même la liberté de conscience. L’élève n’est pas considéré comme inférieur, tel à esclave face au maître, mais celui qui s’élève, qui s’émancipe des aliénations. À l’école il n’y a ni enfants chrétiens, ni enfants juifs, musulmans, bouddhistes, hindouistes, pastafariens ou athées,…, il n’y a que des élèves. La liberté de conscience fonde l’enseignement qui ne préjuge pas du caractère figé par la société ou la famille de ceux qui viennent apprendre. L’élève n’appartient à personne d’autre que lui-même.
En ce sens on oublie très souvent que l’appellation d’école libre revendiqué aujourd’hui par les enseignements confessionnels était mise en avant par les partisans de l’école publique et laïque au XIX° siècle se levant contre l’instruction religieuse obligatoire. La Loi Guizot de 1833 assignait à l’enseignement primaire une vocation profondément religieuse prévoyant « l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures. » L’école napoléonienne ne valait guère mieux il est vrai elle qui en 1808 proclamait que les écoles « prendront pour base de leur enseignement : 1) les préceptes de la religion catholique ; 2) la fidélité à l’Empereur, à la monarchie impériale […] et à la dynastie napoléonienne ». Les lois de Jules Ferry remplacent ici un enseignement religieux par un enseignement laïque.
Enseignement laïque et enseignement du fait laïque
Que l’enseignement soit laïque, cela implique-t-il l’enseignement du fait laïque ? À vrai dire, l’idée d’un enseignement de la laïcité en tant que telle, n’est pas nouvelle. La loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire, pose en son article premier : « L’instruction primaire comprend : L’instruction morale et civique ; La lecture et l’écriture ; la langue et les éléments de la littérature française ; La géographie (…) ; l’histoire (…) ; les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques (…) . » L’enseignement est laïque car il promeut aussi un enseignement laïque et non religieux des principes moraux et civiques. Il y a donc, si ce n’est une morale laïque, une approche morale de la laïque. L’article premier de la loi de 1882 vient ici très clairement répondre à la loi Guizot qui prédisposait, on l’a vu, à un enseignement moral et religieux. Faudrait-il alors aujourd’hui enseigner le fait laïque ?
Ne confondons pas dogme laïque avec l’enseignement des principes de la laïcité, qui peut parfaitement s’inscrire dans les cours d’histoire, de philosophie ou d’enseignement moral et civique. Par là on attend en effet que dans le cadre de la formation des citoyen.ne.s soient divulgués les principes juridiques et philosophiques de la liberté de conscience. On peut très clairement présenter la philosophie des Lumières, évoquer les formes de doute, qu’il soit philosophique – socratique, sceptique, cartésien, etc. – ou encore leur place dans tout processus méthodologique en sciences. L’histoire même de la laïcisation des institutions peut retenir l’attention : la Révolution Française et notamment ses articles 10 & 11 sur la liberté d’opinion et d’expression, en passant par les décrets de la Commune sur la séparation des Églises et de l’État jusqu’à la loi de 1905. Tout cela constitue un enseignement de la laïcité. La Charte de la laïcité à l’école relève d’ailleurs de cette approche : elle rappelle le caractère laïque de la République (art. 1), la séparation des Églises et de l’État (art. 2), la liberté de conscience (art. 3), la neutralité de l’État par celle des fonctionnaires en son sein (art. 11). L’article 15 invite notamment à faire vivre la laïcité par les réflexions et les activités des élèves.
L’enseignement moral et civique va sans doute plus loin en prescrivant des thèmes d’étude, dont le traitement est fait par des enseignants, souvent d’histoire. Tout au plus pourra-t-on garder un œil critique sur le contenu de ces enseignements, afin qu’ils ne prétendent pas inculquer des valeurs d’État rompant avec sa neutralité. On peut en débattre : vieille querelle que celle qui opposent la neutralité absolue de l’État, comme le préconisait Spinoza, à ceux qui estiment, comme Saint-Just qu’il faudrait refuser la liberté aux ennemis de la liberté. C’est tout à l’honneur de la République d’instituer un enseignement démocratique, mais doit-elle persuader des élèves qui seraient anarchistes ou royalistes de changer d’opinion politique ? Ceci toutefois ne constitue pas un enseignement du fait laïque que l’on mettrait sur le même plan que l’enseignement du fait religieux.
À vrai dire s’il y a enseignement des faits religieux dans les programmes, il n’est nullement question d’un enseignement religieux de ceux-ci. Si l’enseignement est laïque il peut aborder par le biais des disciplines scientifiques et universitaires des faits qui sont marqués par la religion : on pourra revenir sur l’histoire des institutions civiques et religieuses de la Rome Antique, le développement de la civilisation islamique depuis l’Arabie, ou les croisades ; en philosophie on peut interroger le statut des différentes croyances, dont les croyances religieuses. Dans ce cadre il est tout à fait loisible de présenter les implications agnostiques ou athées de certaines pensées. L’histoire de l’art peut tout à fait rappeler les sens des symboles pour les croyants, sans prendre parti pour le dogme.
Il en serait tout autrement de réclamer un enseignement des religions, de l’athéisme et/ou de l’agnosticisme en guise de propositions spirituelles. Si cela est le fait des enseignants (laïques) on voit mal au nom de quelle discipline ils pourraient le faire : comment rendre compte des différentes spiritualités sans une connaissance authentique de leurs dogmes, schismes, etc. qui relève le plus souvent soit d’un savoir universitaire de haut niveau, soit d’une croyance en ceux-ci ? Dès lors on se trouverait dans une impasse : il faudrait des enseignants confessionnels – rompant avec la laïcité de l’enseignement, et trouver d’autre part des prêtres en athéisme… L’école a vocation à relater des faits, des théories scientifiques, pas des croyances.
Restons en là : le savoir scolaire se fonde sur une connaissance disciplinaire qui ne peut prétendre transmettre ce qui relève du choix intime des consciences. L’éducation civique peut bien rappeler les principes juridiques, philosophiques et historiques de la laïcité, elle ne peut vouloir forger une morale ou une conscience laïque.