Discours pour les banquets du vendredi malsain, coutume laïque et libre penseuse !
Libres penseurs, libres mangeurs,
Chers et Chères camarades,
Cette année encore, cette année de nouveau après une pandémie qui nous a souvent conduits à repousser les occasions de nous réunir, nous rendons hommage aux « banquets gras ». Gras, parce qu’il s’agissait de s’élever contre les obligations religieuses et napoléoniennes de consommer de la viande les vendredis dits saint.
Libres penseurs, nous ne nous étonnons plus des absurdités portées par la superstition, l’obscurantisme et le fanatisme, mais nombre de nos concitoyens ignorent jusqu’où ces interdits peuvent allés.
L’interdit alimentaire est mortifère
Écoutons Voltaire qui nous rappelle que l’Église catholique, appuyée par Charlemagne qui a fait de la consommation de viande un jour saint un crime capital, a fait des interdits alimentaires un principe de terreur : « Les archives d’un petit coin de pays appelé Saint-Claude, dans les plus affreux rochers du comté de Bourgogne, conservent la sentence et le procès-verbal d’exécution d’un pauvre gentilhomme nommé Claude Guillon, auquel on trancha la tête le 28 juillet 1629. Il était réduit à la misère, et pressé d’une faim dévorante ; il mangea, un jour maigre, un morceau d’un cheval qu’on avait tué dans un pré voisin. Voilà son crime. Il fut condamné comme un sacrilège. S’il eût été riche et qu’il se fût fait servir à souper pour deux cents écus de marée, en laissant mourir de faim les pauvres, il aurait été regardé comme un homme qui remplissait tous ses devoirs. » : « Nous, après avoir vu toutes les pièces du procès et ouï l’avis des docteurs en droit, déclarons ledit Claude Guillon duement atteint et convaincu d’avoir emporté de la viande d’un cheval tué dans un pré de cette ville ; d’avoir fait cuire ladite viande le 31 mars (…) et d’en avoir mangé. » Voltaire, Commentaire sur le livre Des délits et des peines
Protestants, juifs, libres penseurs, pouvaient se voir dénoncés pour n’avoir pas respecté ces prescriptions. Toutes les religions sont concernées ! Milou, le chien de Tintin, reporter au Petit vingtième a lui failli être exécuté pour avoir profané une vache sacrée. Quick Gun Murugun, un film de 2009 réalisé par Shashanka Ghosh, dans le pur style de Bollywood, renouvelle le genre Western en opposant un défenseur des petits restaurateurs contre le méchant Rice Plate Reddy qui à la tête de la chaîne de junk food Mac Dosai impose des galettes traditionnelles mais à base de bœuf !
Si la France a mille fromages, les religions ont mille interdictions
L’étendue des interdits alimentaires est extrêmement variée et très fluctuante. Le Judaïsme et l’Ancien-Testament, se référant au Deutéronome et au Lévitique, interdit par exemple 24 oiseaux, dont l’aigle, l’autruche et le hiboux : on ne peut alors manger de steak d’autruche, dont le commerce a pourtant été relancé par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La plupart des insectes sont interdits, mais pas les sauterelles : « Vous aurez en abomination tout reptile qui vole et qui marche sur quatre pieds. Mais, parmi tous les reptiles qui volent et qui marchent sur quatre pieds, vous mangerez ceux qui ont des jambes au-dessus de leurs pieds, pour sauter sur la terre. Voici ceux que vous mangerez : la sauterelle, le solam, le hargol et le hagab, selon leurs espèces. Vous aurez en abomination tous les autres reptiles qui volent et qui ont quatre pieds. » Lv 11
Bonne nouvelle pour les restaurants branchés qui vendent des apéritifs à base de sauterelles grillées et épicées. En revanche le judaïsme vous interdit les brochettes viande-fromage que l’on trouve dans les restaurants japonais du fait que l’Exode affirme « Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère ».
L’Islam reprend la plupart des interdits de l’Ancien-Testament en affirmant que « La nourriture de ceux à qui a été donnée l’Écriture est licite pour vous, et votre nourriture est licite pour eux » (5,5). Comme pour le Judaïsme on connaît les interdictions en Islam concernant le porc, ce qui permet d’ailleurs à l’extrême-droite de pouvoir masquer son antisémitisme par son rejet des traditions musulmanes.
Des interdits en flou dogmatique
L’origine de ces prescriptions a été très discutée. Nous ne nous attarderons pas sur leur caractère de vérité éternelle, elle n’appartient qu’aux croyants. Et encore ! L’histoire montre bien des allers-retours nombreux. Les restrictions de l’Ancien-Testament sont levées dans le nouveau, l’Evangéliste Marc affirmant qu’ « ainsi il déclarait purs tous les aliments ». Et pourtant au Moyen-âge plus de 150 journées sont concernées par des restrictions par le calendrier chrétien. Il faut attendre Vatican II et 1966 pour que soient levées l’obligation d’être à jeun avant la communion, et la défense de consommer de la viande le vendredi. D’ailleurs cette même interdiction ne concernait pas les espagnols qui en étaient eux exemptés depuis la Bataille de Lépante. Une victoire contre les Infidèles valait bien une dérogation.
Même chose pour l’Hindouisme, les historiens montrent aujourd’hui que la vache n’était pas sacrée dans les premiers temps, et au contraire objet de biens des sacrifices. Le Hallal fait aujourd’hui l’objet d’une revendication de plus en plus étendue, mais également d’enjeux commerciaux et politiques majeurs. En 2014 une startup, du nom, cela ne s’invente pas, de « Capital Biotech » a commercialisé des auto-tests pour détecter la présence de porc dans les aliments. Quel retournement quand des hauts dignitaires de l’Islam affirmaient dans les années 1930 que toute nourriture convenant aux Juifs et Chrétiens pouvait être consommée par les musulmans.
Le rôle culturel des interdits
S’agissant du porc, l’explication rationaliste de l’interdit ne peut puiser ses sources dans un hygiénisme implicite. Comme le souligne Claude Fischler dans L’omnivore, (Odile Jacob 1990) la consommation en est autorisée ou interdite dans des zones climatiques où les maladies sont les mêmes. L’explication culturaliste est plus pertinente. D’une part, elle vient de l’apparent désordre dans un monde prétendu harmonieux que représente le porc, seul omnivore au sabot fendu. D’autre part, elle révèle que les normes et valeurs religieuses jouent leur rôle plein d’unification de communauté. C’est par les rites que les croyants se relient, religare étant l’une des étymologies retenue pour religion. Ils s’inscrivent au plus intime par ces dispositions comme le contrôle des corps.
Interdits alimentaires et laïcité
Aujourd’hui les prescriptions alimentaires interpellent toujours les militants laïques. L’abatage rituel qui émeut les défenseurs de la cause animale, constitue une entorse aux dispositions réglementaires, prévu tant par les institutions européennes au nom de la liberté de croyance, que par le Décret n° 97/903 du 1er octobre 1997. Ce dernier en effet précise « L’étourdissement des animaux est obligatoire avant tout abattage ou la mise à mort, à l’exception des cas suivants : l’obligation d’étourdissement des animaux fait l’objet d’une dérogation en ce qui concerne les abattages rituels. » Alors que Darwin a montré que nous sommes nous aussi des animaux, que nous partageons avec nombre d’entre eux la douleur, n’est-il pas temps de revenir sur une exemption pour des motifs aussi illusoires ?
S’agissant des cantines scolaires, comment concilier les deux pans de l’article premier de la loi de 1905 : la liberté de conscience et l’exercice du culte ? La jurisprudence actuelle semble avoir trouvé une solution de bon sens : ni reconnaissance de dispositions cultuelles – nourriture casher ou halal par exemple – contrevenant à la neutralité de l’État posée par l’article 2 ; ni obligation de manger ce qui heurte. Le plus simple, n’en déplaise à certains, consiste à offrir systématiquement un autre repas, dépourvu de tout interdit cultuel : végétarien voir végan.
Passons au banquet !
Voici quelle a été l’histoire de ces interdictions. Qu’il nous soit permis de revenir très brièvement sur celle des banquets. Ils ont été de tout temps, dans leur diversité, l’occasion de moments célébrant la liberté de pensée. On sait que l’histoire de la République, comme celle de la laïcité a connu de grands moments de banquets. Les banquets de tête de Veau le 21 janvier, pour opposer la République à la monarchie, ont permis quand la liberté d’opinion était menacée de contourner la censure. Le 10 avril 1869, Sainte-Beuve, Renan, Flaubert et Taine ont promu les banquets dits du Saint-Gras, de la Côtelette, et autres appellations contre l’Église et l’Empire.
La forme du banquet n’est pas anodine. Spinoza, le philosophe qui plus que tout autre n’a eu de cesse de défendre la liberté de pensée, opposait l’éthique de la joie aux morales de la contention.
Que nos banquets soient festifs, qu’ils célèbrent la joie de partager entre amis le plaisir de vivre.
Cette cérémonie des banquets est plus ancienne encore que son utilisation par les républicains. Elle a sa source dans les symposiums grecs. Elle a été instituée au titre de philosophie par Épicure qui organisait des banquets avec ses amis. D’ailleurs les épicuriens aiment à détourner la parole de l’Evangéliste Paul qui a affirmé : « manducemus et bibemus, cras enim moriemur » : mangeons et buvons, car demain nous mourrons. Le très sceptique Montaigne en fait un de ses principes, le rattachant à la tradition égyptienne.
Les Pères de l’Église ont tenté de renier la parole de Paul, y voyant une origine épicurienne, pour qui l’hédonisme était inséparable de la satisfaction, certes modérée, des plaisirs du ventre, sans peur de la mort. Le pourfendeur de l’Infâme, Voltaire, amateur de bonne chère, ne s’y trompait pas en estimant que « Cette liberté de table (liberté des propos et des opinions) est regardée en France comme la plus précieuse liberté qu’on puisse goûter sur terre ».
Soyons fiers de ces traditions.
Libres penseurs, libres mangeurs, bon appétit !